Bonjour Philippe,
Pourriez-vous vous présenter à nos lecteurs ?
Je suis le Directeur des Guides Verts Michelin depuis dix ans. Passionné par les voyages, l’histoire et le patrimoine depuis toujours, je connais particulièrement bien la France, l’Italie et les Etats-Unis.
Combien de guides USA existe-t-il actuellement chez Michelin et quels sont vos points forts ?
16 guides au total décrivent les USA! Il existe 8 Guides Verts qui couvrent la plus grande partie du pays (Nord Ouest, Nord Est, Sud Ouest, Sud Est, New York, Boston – Nouvelle Angleterre, Parcs de l’Ouest, Californie) et 8 guides verts format poche (NY, Washington DC, Chicago, Miami et les Keys, Portland, San Francisco, Los Angeles et Philadelphie le dernier né de la collection).
Vous avez donc publié en mars 2023 le guide Guide Vert Week & Go Philadelphie & The Countryside. Pouvez-vous nous en dire davantage sur le choix de la destination et le processus de création ?
Notre « envie » de Philadelphie est ancienne, il y a longtemps que nous souhaitions créer un guide sur cette ville magnifique pour plusieurs raisons :
Première raison : Philadelphie est la ville la plus historique des États-Unis, le cœur de la Révolution américaine et de la démocratie. C’est là qu’est née la constitution américaine. Philadelphie possède un charme aristocratique, elle peut se prévaloir d’un passé glorieux dont celui de capitale des États-Unis pendant près de 10 ans, de 1790 à 1799. C’est là que furent écrites les plus belles pages de la révolution américaine : l’Independance National Historical Park et le quartier de l’Old City sont considérés comme l’America’s Most Historic Square Mile (le mile carré le plus historique d’Amérique), ce qui en fait la seule ville des États-Unis inscrite au patrimoine mondial de l’Unesco. Une histoire intimement liée à celle de la France, où se mêlent les noms de Washington, Benjamin Franklin, La Fayette et Rochambeau… Une histoire qui va droit au cœur des Français.
Deuxième raison : Philadelphie est une ville d’art et de musées, et sans aucun doute l’une des plus belles villes des États-Unis. Peu de villes nord-américaines ont eu un tel souci de l’art, de la beauté et de l’urbanisme. « Philly », comme on la surnomme affectueusement, est presque un musée à ciel ouvert. Partout des statues, des portiques et des frontons néo-grecs ou néo-classiques, des musées… L’avenue Benjamin Franklin Parkway, inspirée des Champs Élysées, avait ainsi vocation à « restaurer la beauté naturelle et artistique de Philadelphie ». Elle est bordée de musées prestigieux dont le Philadelphia Museum of Art, 3e plus grand musée d’art du pays, et la Fondation Barnes, la plus importante collection de Renoir et de Cézanne du monde. L’Orchestre de Philadelphie fait partie des « big five », c’est-à-dire des 5 meilleurs orchestres philharmoniques des États-Unis, et donc du monde. Philadelphie est également la capitale mondiale des fresques murales.
Troisième raison : c’est la plus française des villes américaines. Si la 6ème ville des États-Unis est typiquement américaine avec sa skyline, ses grandes artères et son quadrillage urbain régulier, elle n’en reste pas moins une cité à taille humaine où l’on se déplace aisément à pied. Le touriste français se plaira donc à la visiter à pied et aura la surprise d’y découvrir des monuments qui lui sont familiers : le City Hall, qui ressemble comme deux gouttes d’eau à l’hôtel de ville de Paris ; la Free Library et la Municipal Court, copies conformes de l’hôtel de Crillon et de celui de la Marine place de la Concorde ; le musée Rodin, le deuxième au monde après celui de Paris ; et même la statue équestre de Jeanne d’Arc par Frémiet.
4ème raison : nous avons rencontré des Philadelphiens de naissance ou d’adoption formidables dont nous avons fait l’interview dans notre guide et qui nous font partager l’amour de leur ville : le chef d’orchestre québecois Yannick Nézet-Séguin, directeur musical de L’Orchestre de Philadelphie ; Jane Golden, directrice du Mural Arts Philadelphia à l’origine des fresques murales dans Philly ; Michael Solomonov, chef cuisinier du restaurant Zahav; Fareed Simpson, trompettiste.
5ème raison : je suis un amoureux de New York et de la Côte Est des États-Unis, et je me suis rendu compte au cours de mes voyages que Philadelphie était sans doute la meilleure porte d’entrée de cette région. L’aéroport de Philadelphie est très agréable, il est presque provincial, beaucoup moins encombré que celui de New York, et les formalités d’embarquement sont très rapides, comparé à d’autres aéroports internationaux. La liaison avec le centre-ville est rapide et aisée. Au cours d’un séjour à Philadelphie, il est très facile de rejoindre New York par le train. C’est une solution très agréable, 130 km séparent les deux villes. En prenant l’Amtrak (39 trains relient quotidiennement les deux villes), la liaison est directe en 1h30 dans des wagons de style TGV. Arrivée à Penn Station (Midtown Manhattan), très belle gare néoclassique à colonnades datant de 1910, qui vient d’être completement rénovée. Et la gare monumentale de Philadelphie, mélange de style néoclassique et Art déco, est également magnifique.
Quelle est, selon vous, la meilleure période pour découvrir Philadelphie et ses environs ?
J’ai envie de dire que toutes les saisons sont bonnes et ont leur charme. Rappelons néanmoins quelques éléments : Philadelphie jouit d’un climat continental tempéré, plutôt humide, caractérisé par une amplitude thermique élevée. Bref, il fait chaud en été avec des températures moyennes autour de 30 °C. L’hiver est froid et humide, et en décembre-février, les températures peuvent chuter au-dessous de 0 °C. Mais l’hiver n’est vraiment rude que lorsque souffle le blizzard accompagné de neige. J’ai donc plutôt une préférence pour le printemps et l’automne, avec une prédilection pour l’automne aux couleurs de l’été indien : c’est le début de la saison culturelle, du shopping et des fêtes (Halloween, Thanksgiving).
La durée de séjour idéale au sein même de la ville ?
Il faut rester au moins 5 jours à Philadelphie, et éventuellement consacrer une journée ou deux à The Countryside, la très belle campagne proche de Philadelphie, très facilement accessible en train ou en voiture, voire pour certains endroits à vélo.
Quelles ont été vos premières impressions sur la ville ?
C’est une ville où l’on se sent tout de suite très bien car c’est l’une des rares villes américaines à taille humaine, où l’on peut tout faire à pied ou à vélo. La ville est plate, sans relief et donc idéale pour le vélo. Il est très facile de se repérer avec le City Hall et Benjamin Franklin Parkway en point de mire. La vieille ville historique et Benjamin Franklin Parkway sont particulièrement agréables pour flâner.
Selon vous, Philadelphie est la ville de/des ……. ?
Philadelphie est la ville des murals (fresques murales), elle en est même la capitale mondiale. Philadelphie compte 4000 fresques murales, qui en font la plus grande galerie d’art à ciel ouvert au monde. Oeuvres de personnes en difficulté ou d’artistes à la renommée internationale, outre leur vertu esthétique, ces murals ont permis de créer du lien social et de redynamiser des quartiers en déshérence.
C’est aussi bien sûr la ville de Rocky Balboa, et les aficionados de Sylvester Stallone ne manqueront pas d’aller faire un selfie avec sa statue au pied du Philadelphia Museum of Arts.
Quels sont les lieux incontournables à découvrir lors d’un premier voyage à Philadelphie?
Philadelphie compte certains des plus beaux musées des États-Unis dont le Philadelphia Museum of Arts et la Fondation Barnes. Le premier abrite plus de 225.000 oeuvres. Le département d’art américain y est exceptionnel pour se familiariser avec les arts décoratifs et les artistes du Nouveau Monde : Thomas Eakins, Stuart Davis… Quant à la Fondation Barnes, comme je l’ai déjà évoqué, c’est la plus importante collection de Renoir et de Cézanne du monde. Mais c’est surtout un musée intimiste. L’agencement est resté rigoureusement celui souhaité par le docteur Barnes, son fondateur : les oeuvres sont présentees selon l’accrochage d’origine, orientation identique. C’est un musée très agréable car très personnel, presque intime malgré ses dimensions. Barnes avait privilégié les associations de formes et de couleurs, et non les regroupements par artiste ; le visiteur peut en profiter sans a priori, selon ses goûts. Nous sommes très loin de la muséographie classique avec un parcours impose. Ici, le visiteur est complètement libre.
Les autres incontournables sont liés à l’histoire des États-Unis : l’Indépendance national Historical Park avec la cloche de la Liberté et L’Independence Hall où fut signée la Déclaration d’indépendance et où fut adoptée la Constitution américaine.
Et des idées originales pour les personnes qui connaissent déjà la ville ?
Je conseillerais tout d’abord une balade à vélo le long des méandres de la Schuylkill River et dans Fairmount Park, immense parc urbain de plus de 800 ha. Son charme tient en grande partie à la Schuylkill River qui le traverse. C’est un vrai bonheur de s’y promener en compagnie des Philadelphiens, qui viennent y pratiquer toutes sortes d’activités toute l’année, et je suis toujours émerveillé par les nombreux rameurs qui pratiquent l’aviron. C’est délicieusement British.
Un autre endroit que j’aime particulièrement : l’Eastern State Penitentiary. Ce monument de l’architecture du 19e s., miraculeusement préservé, est un passionnant témoignage sur l’histoire de la théorie carcérale. Cette prison modèle fit des émules et plus de 300 prisons furent construites sur ce principe aux États-Unis et en Europe. On peut encore y visiter la cellule d’Al Capone. Mais le must est d’y venir se faire peur dans une expérience immersive lors des Halloween Nights.
Vous êtes amateur de bonne cuisine. Auriez-vous des restaurants à conseiller à nos lecteurs ?
En matière de gastronomie, on ne peut plus réduire Philly au cheesesteak, ce sandwich au rosbeef recouvert de fromage fondu. Philly concentre désormais certains des meilleurs chefs de la côte Est, de Jose Garces (restaurant Amada) à Michael Solomonov (restaurant Zahav), et récemment Cristina Martinez (restaurants South Philly Barbacoa et Casa Mexico), trois lauréats du prestigieux James Beard Award. Parmi les valeurs montantes, on se presse au Her Place Supper Club de la jeune Amanda Shulman, tandis que les incontournables se nomment Greg Vernick et Jean-Georges Vongerichten, dont le restaurant au 59e étage du Four Seasons Hotel est un sommet, dans tous les sens du terme : la vue la plus spectaculaire sur Philly et l’Amérique telle qu’on la rêve ! Mon coup de coeur : Her Place Supper Club, pour vivre l’une des meilleures expériences gastronomiques de Philadelphie. Mais avec 24 couverts, il convient de réserver longtemps à l’avance et la réservation se fait uniquement en ligne.
Dans le guide, il est aussi question de Countryside. Quels sont vos coups de coeur aux portes de la ville ?
Sans hésitation, ma préférence va à Nemours Estate. En parcourant la route qui conduit à Nemours Estate, vous traversez une campagne de toute beauté, dont le manoir de Nemours et son domaine sont les joyaux. Nemours Estate est un hymne au style et à l’art de vivre francais. Alfred Du Pont de Nemours a construit le manoir en 1910, dans le style d’un château francais de la fin du 18e s., comme un Petit Trianon. L’endroit est absolument délicieux et l’accueil charmant.
Autre choix, très personnel, si vous me le permettez : j’aime beaucoup la peinture d’Andrew Wyeth, qui est le peintre de l’Amérique rurale, d’une vie américaine idéale. C’est l’autre grand peintre iconique de l’Amérique avec Edward Hopper. Andrew Wyeth était natif de Chadds dans la Brandywine Valley. Le Brandywine Museum of Art rassemble nombre d’oeuvres d’Andrew Wyeth et est situé à proximité de la maison où a vécu le peintre. Un lieu et des paysages que l’on retrouve dans ses tableaux.
Pour terminer, quels conseils donneriez-vous aux Français qui projettent un voyage à Philadelphie ?
Comme je l’ai évoqué dans cette interview, si un voyage à Philadelphie est d’abord culturel et historique, il ne faut surtout pas passer à côté de la scène gastronomique de Philly qui compte parmi les meilleurs restaurants de la Côte Est. Il y a également de nombreux farmer markets et un passage par le Reading Terminal Market s’impose : c’est l’un des plus anciens marchés couverts des États-Unis et vous pourrez y déguster des produits et des plats de la communauté Amish. Il y a également de nombreux rooftops pour prendre un verre, des brasseries de bières, une distillerie de gin, etc., adresses que vous trouverez dans notre guide.
La scène musicale est également très intéressante. Outre le Philadelphia Orchestra pour les amateurs de musique classique, la scène des comédies musicales vaut celle de Broadway à New York. Nombreux clubs de jazz (Coltrane a vécu à Philly) et de musique live… Le « Sound of Philadelphia» n’est pas un mythe dans la ville de Melody Gardot.
Merci pour ces réponses Philippe !
